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Source du texte : HISTOIRE DES SCIENCES MÉDICALES - TOME XXXI 3/4 -1997
Notre propos est de rendre hommage à la mémoire du docteur Duplessis de Pouzilhac qui fut l'un de ces praticiens d'autrefois qu'on vénère ; outre sa profession médicale sa personnalité offrait de multiples facettes, il fut aussi écrivain, directeur de revue, conférencier.
Né à Narbonne le 27 août 1882, après des études secondaires où il se distingua en philosophie, il commence ses études de médecine à Montpellier. Alors qu'il était en 2e année, il fonde avec quelques camarades le caveau des étudiants, un genre de cabaret Montmartrois où les carabins venaient la journée finie boire des demis à cinquante centimes, des bocks à cinq sous, lire des poèmes et chanter des chansons quelque peu "frottées aux cantharides" selon sa propre expression, on y faisait aussi des concours de quatrains, des professeurs de médecine et des chansonniers venaient se mêler aux étudiants qui jouaient également des pièces de théâtre en vogue à l'époque. Sa thèse intitulée Les Goncourt et la Médecine (1910) témoigne de son goût prononcé pour la littérature, elle valut à l'auteur les éloges du Jury et les comptes-rendus les plus flatteurs de la presse médicale, elle montre la précision des descriptions cliniques des pathologies des personnages décrits par les frères Goncourt. C'est ainsi qu'ils publièrent le tableau clinique de la pleurésie phtisiogène dans "Germinie Lacerteux". Leur étude de l'hystérie mystique de Mm e Gervaisais, de l'alcoolisme de Barnier, de la paralysie générale de Charles Demailly est parfaitement exacte.
Médecin, il exerça durant toute sa carrière à Narbonne, il était réconfortant et simple envers ses malades, par sa sympathie il conférait aux médicaments une âme en les spirtualisant. Psychologue, émotif il savait que le ton doctoral rigide n'épouse pas la souffrance du corps et de l'esprit. Qui soigne doit aimer, sa main se faisait bienveillante pour recueillir les confidences de ses patients anxieux. Son grand cœur le portait à s'intéresser surtout aux humbles, il était naturellement donneur d'espérance. Il croyait que la chimie ne suffit pas et qu'à côté de chacun de nos organes se tient son double moral à action prépondérante. Il servit pendant la première guerre mondiale à l'Hôpital complémentaire n°62 au Cap d'Ail.
Ecrivain, il mena de front avec la médecine ces deux formes de labeur, son imagination était ample, son style clair et si le cours en était parfois tumultueux il ne débordait jamais, il était indulgent, respectueux de la morale biologique et expert en défense, son ami de toujours le docteur Paul Voivenel le qualifiait pour cela de "prélat laïque". Son œuvre romanesque s'inspire des fléaux qui s'abattent sur les épaules des êtres humains, il crie au secours et alerte ses confrères, il invite le législateur à dresser des barrières efficaces, servant pour le bonheur de l'humanité. Il publia dix romans : "Les heures tristes" (1910), "Les enjôlées" (1911) sont deux romans de pure imagination, "Les Mouettes aux croix rouges" (1916) et "L'aile blanche" (1917) sont deux romans de guerre, l'auteur y exprime son vibrant patriotisme, "Sigma" (1921) est un roman à thèse médicale, le héros du livre le docteur Deveze, belle âme d'apôtre a déclaré la guerre à la maladie si stupidement cachée et que de nos jours encore certains qualifient de honteuse, ce médecin s'efforce d'informer ses patients pour qu'ils puissent se prémunit contre la maladie. Comment ne pas comparer cette attitude avec celle adoptée aujourd'hui face au syndrome d'immunodéficience acquise tant sur le plan de l'information que sur celui de la prévention. Pour cela et à travers ce livre le docteur Duplessis de Pouzilhac fait figure de visionnaire pour l'époque. Dans "La Poignante agonie", roman de mœurs médicales paru en 1924, il écrit : "Tout médecin est doublé d'un artiste, le confident de l'âme humaine, le consolateur de la souffrance, le guérisseur d'horribles maux éprouve à certains moments une soif intense que seules les cimes éblouissantes de l'art peuvent désaltérer". "La cathédrale hantée" (1953) fut son dernier roman, il plonge le lecteur dans un moyen-âge de mystère et d'allégorie.
Fondateur de la prestigieuse revue d'art Septimanie du no m de la province de la Gaule Romaine où s'établit en 45 avant J.C. une colonie de vétérans de la 7e Légion Romaine, d'où cette dénomination, cette province appelée anciennement la Narbonnaise comprenait sept cités : Agde, Béziers, Maguelone, Nîmes, Lodève, Uzès et Narbonne qui en était la métropole, c'est à cette œuvre qu'il consacra le plus de temps en dehors de la médecine, il devint le directeur de cette revue dont le premier exemplaire parut le 15 novembre 1923, la présentation en était magnifique, les formes, les couleurs, le choix du grain du papier étaient guidés par la sensibilité, les caractères d'imprimerie choisis avec le plus grand soin vivaient autour des dessins des imagiers, certains numéros se présentaient avec la splendeur des parchemins historiques. A travers cette présentation, les textes les plus familiers s'ennoblissaient. Paul Duplessis de Pouzilhac recevait dans ce manoir des lettres et des arts des écrivains connus tels André Gide, Paul Valéry, Paul Claudel, Paul Voivenel, Paul Guidoni, mais aussi des inconnus découverts par lui et qui devinrent célèbres tant il aimait accueillir et susciter des vocations littéraires, c'était pour lui la continuation naturelle de son action humanitaire,
Charles Trenet y publia des poèmes en 1933, les peintres Picasso, Marquet, Derain collaborèrent à la revue, la femm e du Président Doumergue correspondait avec Septimanie, elle était poète et peintre. Prose et poésie rivalisaient à l'intérieur des pages par la richesse des textes, cela pour la gloire des provinces françaises et du terroir languedocien dont le docteur Duplessis de Pouzilhac chanta les beautés : le soleil et les nuits du Languedoc, les vins de Provence et du Narbonnais, le cers taquinant les cyprès qui omissent de volupté, le cep main crispée, tendue vers le ciel, ce sont ses propres mots, sans oublier Narbonne (Narbo Martius) cette antique cité consacrée au Dieu Mars d'où l'épithète de "Martius" et dont il ralluma la flamme gréco-romaine. Il avait au cœur l'amour de sa vieille cité et de la région Septimanienne. Vint la période de l'occupation et ses restrictions, Septimanie cessa de paraître en 1940.
Animateur littéraire Paul Duplessis de Pouzilhac le fut aussi sur le plan national il était Délégué Régional de la Société des Orateurs et Conférenciers de Paris. Il fonda avec Bernard Sarrazin de Lyon le mouvement intellectuel des écrivains de province dont il organisait les réunions annuelles en préparant les programmes et en y conviant des personnalités connues pour enrichir les débats. Chef par dévouement et non par besoin de paraître, il savait par sa bienveillante attention mettre en valeur l'originalité des écrivains et des artistes non encore affirmés, initier des âmes à l'art et à l'écriture. Un de ses titres de gloire fut d'organiser en 1938 l'un de ces congrès à Narbonne qui brilla à cette occasion des feux de l'esprit et des illuminations. Il sut offrir à ses invités la possibilité d'admirer les beautés de la région. U n autre de ces congrès eut lieu à Palavas, ce fut une réussie brillante du folklore de nos provinces. On le sollicita pour des conférences, il s'y montrait heureux et intimidé, il exposait avec bonhomie parlant à son auditoire comme s'il bavardait avec des amis sans effet de pochette. Le séjour septimanien de Molière et de ses comédiens de 1648 à 1658 inspira bon nombre de ces conférences ; au cours de l'une d'elle ayant pour sujet "Molière buveur de vin", il mit en relief quelques-unes des lippées que les acteurs avaient l'habitude de faire après les représentations dans les auberges de Béziers, Montpellier et Pézenas où résidait la célèbre troupe de théâtre protégée par Armand de Bourbon, Prince de Conti, Chef des Etats du Languedoc dont Pézenas était la capitale. Le ciel clément du Languedoc et de la Provence était favorable aux comédiens.
Son activité ne s'arrêta pas là, il présida le syndicat d'Initiative de Narbonne et collabora avec fidélité pendant de longues années au Journal L'indépendant. Il était aussi amateur de santons, sa collection était unique au monde.
Le docteur Duplessis de Pouzilhac était Sociétaire des Gens de Lettres de France et Membre de l'Académie des Sciences et Lettres de Montpellier. Une très grande amitié le liait à Paul Voivenel, neuropsychiatre et célèbre écrivain toulousain, voici ce qu'écrivit ce dernier à ce propos : "Nous le savions sans nous l'être dit, l'amitié est un des plus beaux sentiments ; depuis plus de quarante ans pas une faille, pas une flatterie, clair et dur comme du diamant, dans notre isomérie c'était écrit".
Paul Duplessis de Pouzilhac s'est éteint le 17 septembre 1958 à l'âge de 76 ans. Pour terminer cet hommage citons une de ses paroles : "Le meilleur confident de la vie est souvent un peu de papier, un peu d'encre et l'heure discrète où rien ne bouge".
Etienne BOUDAY, Rodez